Ali Aziz Sethi est un auteur-compositeur qui s’intéresse depuis des années à la musique classique hindoustani et à des formes de poésie neo world. Nicolas Jaar, lui, est un compositeur américano-chilien qui donne dans l’electro ambiant expérimental. Les deux ont décidé, contre toute attente, de collaborer. Même sans connaître leurs travaux respectifs, on peut, sur le papier, se douter que le résultat sera aussi unique qu’original. Et effectivement, il l’est. « Intiha » (qui signifie « limite ») explore, défriche, réinterprète l’art des deux hommes. Jaar tisse sa toile electro ambiant de façon à éviter toute forme déjà connue, et parfois même toute forme, tout court ; il est vrai qu’on a du mal à repérer la mélodie, celle-ci se fondant dans le décor, ou s’adaptant au minimalisme et à la musicalité propre du chant ghazal de Sethi. Sur certains titres, bien sûr, c’est plus évident, et je dois bien dire que ceux-ci, comme l’introductif « Intiha », « Muddat » ou « Dono Jahan », ont clairement ma préférence. Mais sur l’ensemble de l’album, je vous le garantis, on se sent transporté vers un autre monde, totalement déconnecté de nos coutumes musicales (au moins des miennes). « Intiha » est clairement le genre d’album qui s’apprécie bien plus lors d’une écoute au casque, ce qui renforce l’impression de cocon, de fragilité et de délicatesse qui s’en dégagent. On en captera également bien plus les jeux sur les échos, les silences, les structures sonores, on en distinguera mieux toutes les subtilités. Ils ne sont pas faciles à cerner, les disques qui marient la tradition à la modernité et à l’expérimentation, et celui-ci ne fait pas exception. Mais la magie qu’il dégage parfois et le caractère unique de sa proposition compensent l’effort de concentration qu’il demande.
