Kemmler est un rappeur marseillais, et « Gris coeur » est son deuxième album, après un « Rose » sorti en 2018. Un disque sorti en plusieurs fois, avec un point de vue résolument personnel qui en fait toute la saveur. « Gris », c’est l’histoire d’un mec qui commence à percer, mais peut-être pas assez, ou peut-être trop. Un mec qui se prend dans la tronche ce qu’il avait espéré mais pas vraiment anticipé ; le changement que génère le (relatif) succès, les difficultés relationnelles qui en découlent, tout ce qui est modifié à la périphérie du soi, ressenti le « eux » mais pas par le « moi ». Ce qui explique en partie le « Gris » du titre, justifié également par le changement de fuseau horaire d’éveil de Kemmler, ayant remplacé le classique 8h-23h par un 15h-07h plus propice à la vie nocturne et la créativité artistique. N’allez pas croire pourtant que ce deuxième album est chargé uniquement de regrets, chagrin et apitoiement. L’album est en fait construit et structuré comme une histoire ; il suit la progression de la réflexion de Kemmler, du constat à la réaction, qui est celle de « faire avec », et d’essayer tant bien que mal de profiter de ce qui lui est offert. Bien sûr, tout ça est exprimé de façon plus sensée et sensible que je ne peux le faire. « Coeur », c’est aussi la preuve qu’un confinement a parfois du bon, parce que cette introspection n’aurait peut-être pas été possible dans le feu de l’action. C’est probablement une bonne chose pour le marseillais qui en ressort plus sage, et encore meilleur dans ses textes. Pour moi qui n’ai pas suivi le bonhomme sur les réseaux ces derniers mois, la découverte est assez énorme. L’écriture est fine et riche ; Kemmler a commencé à écrire suite à un atelier d’écriture, a appris à tourner et retourner ses textes, et ça s’entend. Chaque mot, chaque phrase est choisie, les références ne sont pas celles qui surpeuplent le rap, et chaque chanson peut trouver un écho chez ses auditeurs tant ces tranches de vies sonnent vraies et ne s’encombrent pas de faux-semblants ou de non-dits ; la vérité nue, fusse-t-elle crue. Musicalement, les titres sont posés, entre pop, r&b, et hip-hop. Le rythme ne masque jamais le propos, mais le flow fait souvent le rythme. Le léger cheveu sur la langue de Kemmler ne gêne pas, ça ajoute de la personnalité. Et pour moi qui suis allergique au r&b, apprécier ces titres est un miracle, et je ne crois pas aux miracles. Alors, « Gris coeur » serait un rêve ? En tout cas, il est aussi inespéré qu’apprécié !
Related Posts
- 10000« Boombap 2.0 ». Une jolie formule qui, Lacraps l’avoue, n’a pas de signification profonde. Vieilles formules à la diction moderne, pourrait-on dire ? Oui. Lacraps, nordiste d’origine, montpelliérain d’adoption, est venu tard au rap. Trop occupé à survivre. Ce qui ne signifie ni qu’il est plus « street » qu les autres, ni moins…
- 10000Le troisième album du rappeur Dooz Kawa sera donc celui qui m'introduira dans l'univers fantasque, original et littéraire du strasbourgeois. Qu'on s'entende ; vous pouvez continuer à me traiter d'inculte parce que je ne comprends pas la poésie et le côté visionnaire de Booba, je m'en fous. Moi, ce que je…
- 10000Décidément, je croise souvent le beatmaker Mani Deiz en ce moment. Et autant il est efficace et posé en solo, autant il est un atout considérable pour ses collaborateurs dans le domaine hip-hop. Cette fois-ci, donc, c’est avec Lucio Bukowski qu’il s’associe le temps de 38 minutes d’un rap français…
- 10000Drôle de chronique. Bien sûr, il arrive régulièrement que des disques de rap français apparaissent ici. Mais à titre posthume, je crois que c’est la première fois. Nepal, donc, s’est éteint le 9 novembre 2019, de causes inconnues. Et « Adios Bahamas » est donc à la fois son premier et son…
- 10000Le rappeur Hartigan et le beatmaker Mani Deïz s’allient pour nous présenter ce premier album du emcee. Ceux qui traînent souvent ici le savent ; en terme de rap français, j’aime les choses posées, sombres et écrites. Vous ne vous étonnerez donc pas de la teneur résolument amère de ce « Purgatoire »…