
J’avoue qu’à l’annonce d’un nouvel album d’Ez3kiel, je ne m’attendais pas à ça. « La mémoire du feu » est un concept-album, qui a pris le parti de mélanger musique et littérature (l’album sort d’ailleurs en différentes versions, dont un livre-disque), et s’est adjoint pour la peine les services de Caryl Ferey, auteur de polar et scénariste, auquel les ondes ne font apparemment pas peur, puisqu’il a déjà créé des pièces radiophoniques pour France Culture et France Inter. Qui met en valeur qui ? C’est un cercle vertueux en fait ; chacun apporte ici son étincelle à l’éclat de l’autre. « La mémoire du feu », c’est l’histoire de Duane et Diane, deux êtres proches et qui se rapprochent de plus en plus, brûlant d’amour et de désir et se consumant finalement l’un l’autre. Une histoire somme toute déjà vue, mais un canevas assez solide pour bâtir une intrigue cinématographique que la puissance d’évocation d’Ez3kiel parvient à magnifier sans mal. Un titre comme « L’absolu » est l’exemple même des raisons pour lesquelles la scène electro et rock ont besoin d’un groupe comme celui-ci, trou noir aspirant matière et antimatière, couleurs et genres et les restituant en un tout surréaliste et fascinant. Vous le savez, l’expression française au sein de la musique a tendance au mieux à me déstabiliser, au pire à me rebuter au plus haut point. Et bien, la présence des narrations ou parties chantées ici, qu’elle soient masculines ou féminines, ne me dérangent pas. D’année en année, le groupe s’est essayé à différents genres, et exploite ici son savoir-faire pour bâtir des chapitres variés et surprenants. L’ensemble est sombre, tragique et trouble, à la manière d’un Carpenter. La narration et la musique sont aussi importantes l’une que l’autre, et il me paraît impossible de n’apprécier cette œuvre qu’en partie ; ce sera l’adoption ou le rejet pur et simple. De mon côté, je suis bluffé par autant de courage à l’heure où on attaque plus en single qu’en album, et que les concepts se résument souvent à une punchline ou une coupe de cheveux. Vieux con ? Peut-être. En tout cas, pas vieux grincheux à l’écoute d’un disque de cette qualité, qui fera date dans la carrière du groupe autant qu’il marquera, à coup sûr, l’année 2022 en créant une catégorie electro / folk / chanson / rock bien peu pratique pour en rapprocher d’autres sorties !